NICOLAS BARRAL, LE CINEMA EN CAMPAGNE, UN ACTE MILITANT
- magazinemagma
- 3 juil. 2017
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 sept. 2019
Il y a le concept des vacances pour tous et celui du film pour tous. Sceni qua non œuvre à amener le cinéma aux ruraux à travers l’éducation à l’image, le cinéma itinérant et le festival Partie(s) de campagne qui fêtera ses dix ans cet été, du 13 au 16 juillet, à Ouroux-en-Morvan. Entretien avec Nicolas Barral, 36 ans, le nouveau directeur de l’association.
« Le cinéma en milieu rural, c’est affirmer l’utilité absolue de ce qui peut paraître inutile »

Comment êtes-vous arrivé à Sceni qua non ?
Je suis arrivé dans la Nièvre il y a 15 ans. J’ai d’abord travaillé à Corbigny, au sein de la compagnie Déviation puis avec la compagnie Alfred Alerte. Ensuite, j’ai rejoint Sceni qua non. J’ai démarré en tant que projectionniste puis j’ai accompagné Yann Dupond (ex-directeur de l’association, ndlr) à la coordination du festival Partie(s) de campagne et à la coordination des dispositifs d’éducation à l’image. Puis, nous avons été sollicités pour reprendre la programmation et l’exploitation du cinéma de Saint-Honoré-les-Bains. A ce moment-là, j’ai été embauché en tant que responsable de salle. Ensuite, on nous a proposé la même chose pour le cinéma le Vox, à Luzy puis l’Etoile de Château-Chinon. Je suis passé assistant de direction. Pour finir, Yann Dupond a quitté la direction de l’association et j’ai repris son poste.
Quelle est la démarche de l’association ?
Sceni qua non a 34 ans. L’activité a énormément changé depuis sa création. Elle est née pour accompagner une équipe de créateurs, de techniciens de cinéma, de vidéastes qui avaient envie de montrer leur travail et de fédérer des invités autour d’événements représentatifs de la création et faire la promotion du court-métrage. Aujourd’hui, ça s’est développé autour de l’éducation à l’image et l’éducation populaire. On fait beaucoup plus de programmations et d’accompagnements. On a un réel impact sur le territoire et au niveau du département. On représente un réseau d’acteurs culturels via le cinéma.
Que représente le cinéma pour vous ?
C’est un espace formidable de rencontres et d’émerveillement. C’est prendre conscience des réalités du Monde. C’est aussi une forme artistique très populaire. Dans beaucoup d’endroits où l’on va grâce au cinéma itinérant, nous proposons la principale offre culturelle. Le cinéma passe une fois par mois dans le village et c’est le moment pour les habitants du village de s’évader ensemble.
Partie(s) de campagne est le festival rural du film ?
On essaie d’aborder l’action culturelle en milieu rural par tous les côtés. Par l’éducation à l’image et par l’événementiel qui est la partie émergée de l’iceberg. Le festival fédère et met en lumière le territoire. C’est un temps fort et un formidable espace de promotion, de découverte et de rencontres.
Quel est l’impact politique de cette ouverture aux campagnes ?
C’est un acte politique puisque les communes qui font le choix d’accueillir le cinéma s’engagent vraiment, certes économiquement et techniquement, mais surtout politiquement. Il s’agit de maintenir une offre culturelle dans leur village à travers des films d’auteurs ou engagés, et des rencontres. C’est un vrai parti pris sur un territoire. On fait office de résistance. Il y a plein d’endroits où l’on pense que la culture ne sert à rien, ça n’est pas rentable… Ce qui est inutile aux yeux de beaucoup de gens est en fait essentiel. On a la chance de travailler avec des partenaires qui ont conscience de ça. Voilà, le cinéma en milieu rural, c’est affirmer l’utilité absolue de ce qui peut paraître inutile. On construit avec les collectivités et aussi avec les habitants et les associations pour ouvrir les portes de cinéma à la société civile.
Est-ce une démarche militante et d’égalité des chances en quelque sorte ?
Militante oui, d’égalité des chances d’une certaine manière aussi. Notre credo, c’est que chaque habitant de la Nièvre doit avoir un point de cinéma à moins de 20 kilomètres de son habitation. On essaie de rétablir l’égalité face à la culture et permettre à chacun d’appréhender l’image. Nous faisons des ateliers réalisation, montage et surtout des rencontres avec des réalisateurs, producteurs, ingénieurs, comédiens et des professeurs de cinéma. On invite de plus en plus des gens du public à présenter une programmation. Par exemple, nous invitons un quidam qui aura envie de faire une rencontre autour de Marilyn Monroe. Nous l’accompagnons pour savoir quelle programmation présenter. Cette personne vient parler de son cinéma et partage ses connaissances. C’est une initiative populaire.
Pensez-vous que l’État doive encourager ce genre de démarche ?
C’est une grande question. Je ne sais pas si aujourd’hui on a conscience que beaucoup de choses vont se jouer en milieu rural. C’est un espace qu’il faut soutenir, accompagner et c’est important, au-delà du culturel, de préserver un maillage social, des services publics dans les campagnes. Je souhaiterais effectivement que ce soit reconnu d’utilité publique.
Comment se déroule le festival ?
Il y a plusieurs types de programmes en compétition. Environ 950 films ont été soumis, on en a sélectionné 66. Il y a la compétition fiction francophone, dont la durée est limitée (moins de 30 min) et dont les films ont été réalisés à partir du 1er janvier 2016. Il y a beaucoup de diversité, du film expérimental, de la comédie, du drame… Et, il y a une compétition documentaire (animé, expérimental ou classique)… Nous avons une programmation Jeune, pour les 3-6 ans et les 7-12 ans, une carte blanche au cinéma Belge, un programme Région et un autre à thème (L’enfance buissonnière). On donne des formats spécifiques mais dans les genres, on s’amuse.
Pourquoi se déroule-t-il à Ouroux-en-Morvan ?
Parce qu’on aime le challenge (rires, ndlr). Nous l’avons choisi parce que le village est en plein milieu rural et ça colle avec notre volonté d’amener la culture là où elle est peu présente. C’est un formidable terrain pour créer, imaginer et innover. Au niveau structure et technique, nous n’avons pas les mêmes facilités que Clermont-Ferrand, Annecy ou Belfort. Les salles de projection sont des chapiteaux de cirque, la salle des fêtes, la salle du conseil municipal ou une grange. Il faut reconnaître que c’est du festival de campagne, on met l’accent sur l’accueil, la convivialité et les gens adorent. Il y a 800 habitants en règle générale et durant le festival le nombre est multiplié par quatre. Ici, il n’y a pas de gare, pas beaucoup d’hôtels et tous les ans, c’est un vrai casse-tête pour organiser le séjour des invités. On accueille des gens jusqu’à Château-Chinon, on fait travailler du monde sur un large périmètre. Au niveau de l’impact sur le village, le festival est un événement très attendu, c’est un moment de fête où le village vibre.
Quelles nouveautés cette année ?
Chaque année, il y a une nouveauté. Mais pour les dix ans, on organise une garden-party avec un concert lyrique, on sort les ombrelles et les queues de pie.
Mais il y aura aussi plein de concerts, du théâtre de marionnettes, des apéros-rencontres, des concerts-siestes, des ciné-concerts. En gros, on passe la journée devant des écrans, alors le soir on a envie de se détendre. Il y a des artistes locaux et d’ailleurs. Sex machine va venir faire un set, Lou Varo sera là pour un ciné-concert sur la fanfare, le collectif Arfi fera une animation sur Koko le Clown (une pépite du cinéma d’animation).
Quels sont les prix à gagner ?
Deux chèques de 1000 euros pour les prix du film francophone et documentaire. Et plein de gratifications : on remet un jambon du Morvan, des faïences de Nevers, de séjours en Morvan et surtout on offre de beaux souvenirs.
Propos recueillis par Emmanuelle Valenti
Pour en savoir plus sur le festival : http://sceniquanon.com/parties-de-campagne/
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