JEAN-MICHEL JARRE, Comme un Boomerang...
- magazinemagma
- 2 sept. 2016
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 sept. 2019
Tout juste quarante ans après avoir universalisé la musique électronique avec son disque Oxygène qui le révéla au monde, Jean Michel Jarre, 80 millions de disques vendus plus tard, reprend le chemin de la scène pour y présenter Electronica, son dernier opus. Une œuvre comme une boucle, un double album à entrées multiples, un inventaire de la création électro où collaborent les différentes générations mais aussi de vieilles amitiés. Si JMJ peut se targuer d'avoir influencé grand nombre d'artistes, Electronica apparaît comme un hommage à sa « succession », hommage à double sens pour certains de ses invités qui le considèrent comme un des pères de la musique électronique ! Après avoir joué devant les pyramides d'Egypte, sur la place Tiananmen, au pied de l'Acropole à Athènes ou de la Tour Eiffel à Paris , on le retrouve à Dijon, le 26 novembre prochain. Rencontre avec le showman de tous les records...

Avant l'envol de votre carrière en tant que musicien, vous avez écrit pour Christophe, Françoise Hardy ou Patrick Juvet des titres qui resteront à jamais dans la bible de la chanson française ou de la disco. Comment tout cela est arrivé ?
En fait, j'ai commencé la musique plutôt sur le côté instrumental en engendrant des groupes de rock et en travaillant avec le GRM (Groupe de Recherches Musicales) la musique électronique. Ce n'est qu'en quittant le GRM avec Pierre Schaeffer que j'ai été en contact avec des studios plutôt pop, rock ou encore variété. J'ai pu alors expérimenter des choses que j'avais en tête au niveau du son dans des studios dans lesquels je n'aurais jamais pu entrer avant. Sur ce plan, c'était déjà une aventure tout à fait unique pour moi ! J'ai toujours eu en tête, à travers la musique, de créer des univers et pas forcément de créer des albums avec une suite de chansons. C'était l'époque où en Angleterre il y avait pas mal de concepts album avec King Crimson, Pink Floyd… J'étais assez intéressé par ça et puis j'ai eu la chance de rencontrer des gens comme Christophe, Patrick Juvet ou Françoise Hardy… Ce qui m'a intéressé, c'était le travail de studio en équipe et essayer de concevoir un univers à travers l'artiste qui préparait son album. Sur certains titres j'ai fait la production, sur d'autres la musique ou bien encore les textes. Ce sont des choses qui font vraiment partie de mon ADN au même titre qu'Oxygène (NDLR : 18 millions d'exemplaires vendus dans le monde)
Côté musique vous étiez plutôt rock à vos débuts mais rapidement vous avez crée des ponts entre musique expérimentale et musique pop. Comment expliquez-vous ce besoin à l'époque ?
J'ai toujours considéré que la mélodie avait une place centrale dans la musique. Je voulais donc créer ce pont entre la musique expérimentale, la recherche sonore, et la pop-music. D'ailleurs dans Electronica, mon dernier album, j'ai collaboré avec des gens qui, eux aussi, placent la mélodie au centre de leur travail.
Non content d'être à la tête des charts avec les tubes pré-cités, vous avez créé un son nouveau, une nouvelle façon d'aborder la musique, de la montrer et de ce fait, vous l'avez rendue universelle. Avez-vous réussi aussi brillamment dans toutes vos initiatives ou comptez-vous aussi quelques échecs ?
La vie est faite de succès et d'échecs, celle d'un artiste particulièrement mais je pense que l'erreur pour certains d'entre nous est de considérer le succès comme la norme et ce qui n'en fait pas partie, comme quelque chose d’inabouti ! La vie de chacun se situe entre les hauts et les bas. En ce qui me concerne, ce mélange de frustration et d'espoir est ce qui me fait avancer : frustration à chaque fois de ne pas avoir complètement réussi à faire ce que j'envisageais et espoir qu'une prochaine fois ce sera mieux ou moins pire (rires)!
Votre dernier album réunit plusieurs artistes. Est-ce une façon de convoquer sur un même disque tous ceux qui ont pu ponctuer ou animer votre vie de musicien ?
D'une certaine manière, oui ! En tous cas en ce qui concerne la scène électronique et ma vie de musicien… L'idée avec Electronica était de travailler avec des gens qui sont et qui ont été des sources d'inspirations liées directement ou non à la scène électronique – Aujourd'hui, la musique électronique est partout, n'a plus de frontière parce que cette musique n'est pas un genre en particulier comme le rock, le punk ou le hip-hop… C'est une autre manière d'approcher la composition musicale, non pas seulement en terme de notes fondées sur le solfège, mais en fonction du son. On peut enregistrer les sons de la nature, de la ville… et puis, en faire de la musique ! Cette démarche est nouvelle et elle fait que dans tout genre confondu aujourd'hui, on utilise la technologique qui est à notre portée pour pouvoir faire de la musique de manière différente – Dans Electronica, les différents intervenants sont tous des passionnés du son, que ce soit Christophe, Air, Rone, Gary Numan, les Pet Shop Boys, Moby, Massive Attack, Boys Noize, Tangerine Dream... des gens de générations différentes qui se sont rassemblés sous la bannière du son et de la passion du son. Electronica est l'un des projets les plus ambitieux de ma carrière puisque j'ai décidé de lui consacrer cinq ans de ma vie, cinq ans de rencontres avec des gens de la scène électronique. Dans ce style musical, on travaille souvent en solitaire dans son studio, on peut s'envoyer des fichiers sans se rencontrer physiquement mais là j'ai eu envie de partager ce travail de création, en face à face, dans la même pièce et ça a été une aventure incroyable !
Tellier, Air, Rone... ce sont un peu vos rejetons, non ?
Il faut leur poser la question, moi je les reconnais volontiers. En tous les cas, il y a une filiation affective, un lien affectueux et musical avec eux. Avec Sébastien Tellier, Air, Rone, M83, on a en commun une manière très française d'aborder la musique, c'est-à-dire très impressionniste. On « cuisine du son » et pour le coup, c'est très Français !
Edward Snowden est lui aussi présent sur ce disque. Que représente cette présence pour vous ?
L’un des thèmes récurrents d'Electronica, c'est ce rapport ambigu qu'on a avec la technologie. D'un côté, on a partout avec soi son smartphone dans la poche et de l'autre on sent bien que la technologie soulève un certain nombre de problèmes comme des interrogations économiques, par exemple. On peut évoquer quelque chose qui m'est proche en parlant de la création. Les artistes sont davantage considérés comme des produits que comme des clients aujourd'hui. Les créateurs sont dans une situation compliquée face à la technologie puisque la musique n'a jamais autant été diffusée et généré d'argent alors que les artistes n'ont jamais reçu aussi peu ! Je m'inquiète moins pour nos générations que pour les futures. Il faudra inventer un nouveau modèle économique pour que les futurs Coldplay ou Tarantino puissent vivre de leur art ! Mais pour revenir à Edward Snowden, j'ai été très frappé par les lanceurs d'alertes qui sont des gens absolument nécessaires à nos sociétés parce qu'ils agissent à la manière d'un phare et préviennent de certains abus. Dans le cas d'Edward, ce n'est pas quelqu'un qui dit stop à la technologie mais pointe l'abus que l'on peut faire des technologies ! Les progrès, dans toutes les sociétés, ont toujours été faits à l'encontre des lois et du pouvoir en place ! Il faut à chaque fois qu'un certain nombre de personnes aient le courage de se lever pour faire réagir et faire évoluer les choses.
Si Electronica réunit un grand nombre de geek, Edward, lui, est un geek professionnel (rires) ! Il n'est ni artiste, ni musicien mais avait tout à fait sa place dans ce projet car si la musique électronique a un côté hédoniste, elle reflète aussi la société dans laquelle on vit et les problèmes de cette dernière! J'ai donc rejoint Edward à Moscou pour que nous enregistrions, c'est d'ailleurs un passionné de musique électro ! On a décidé ensemble du genre de morceau qu’on pourrait faire et ce morceau Exit intègre les quelques phrases parlées qui résument, en quelque sorte, les raisons pour lesquelles il a fait ce qu'il a fait (NDLR Edward Snowden est un informaticien américain, ancien employé de la CIA et de la NSA qui a révélé les détails de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques.) C'est un morceau assez speed et techno qui symbolise à la fois notre quête obsessionnelle d'avoir toujours plus d'informations sur internet et en même temps cette chasse à l'homme que mènent les trois grandes organisations que sont la CIA, le FBI et la NSA contre un seul jeune individu qui est juste là non pas pour faire du mal à son pays mais par amour pour lui, pour l'améliorer !
Air, Christophe, Massive Attack, Gary Numan, Cindy Lauper, Sébastien Tellier, Edward Snowden… on dit qu'ils interviendront durant vos concerts. De quelles manières ?
Puisqu'on parle d'Edward Snowden, il sera présent lors du concert que je vais donner au Zénith de Dijon par le biais d'un enregistrement vidéo où il s'adressera au public de manière assez particulière, à travers des écrans dans la scénographie que j'ai imaginée. En ce qui concerne les autres artistes, ils viendront me rejoindre quand ils le pourront au fil de cette tournée qui va durer près de deux ans, en fonction des moments de liberté qu'ils pourront avoir dans leurs agendas! C'est là-dessus qu'on travaille, « on the road » si je puis dire !
Lors de cette tournée, vous jouerez Electronica mais les fans de la première heure pourront-ils réentendre vos grands succès ? Et niveau show, qu'est-ce qui nous attend ?
L’'idée est de présenter ce nouveau projet avec une scénographie très particulière. Dijon, ce n'est pas loin de chez moi qui suis Lyonnais. La Bourgogne est un endroit qui me ramène à mon enfance, à ma famille… C'est donc une date très particulière pour moi et j'ai hâte de pouvoir partager ce projet et cette scénographie tout à fait nouvelle qui je pense est très spectaculaire puisqu’elle fait intervenir la 3D sans lunette, ce qui va créer une sorte de perspective. Evidemment, il y aura des morceaux du nouvel album mais aussi des classiques depuis Oxygène, Equinoxe qui seront au rendez-vous mais réorchestrés pour la circonstance avec un son 2016- 2017. A la fin de l'année, ce sera le 40ème anniversaire d'Oxygène , il sera donc présent mais d'une manière assez particulière à ce moment là.
Quand on a joué sur la Place Tienanmen, devant les pyramides d'Egypte ou encore sous la Tour Eiffel qu'est ce qu'on peut encore attendre de plus magique?
Ce sont des moments qui sont extraordinaires et évidemment je me sens très privilégié de pouvoir donner des concerts dans de tels endroits mais sur le plan de l'émotion quand on est sur scène, ce qui compte avant tout ce sont les gens qui partagent cet instant avec vous. Faire de ce partage une bande son est ce qui me plaît le plus ! Pour moi, honnêtement, le fait de jouer en Bourgogne, à Dijon, c'est quelque chose de tout aussi extraordinaire ! Un concert c'est une histoire de chimie entre deux entités : le public d'un côté et la scène de l'autre... ça fonctionne ou pas, c'est comme une histoire d'amour et cela n'a rien à voir avec l'endroit.
On sent une réelle excitation de la part du public à l'approche de votre tournée JM Jarre. Alors que certains voguent sur leur répertoire depuis toujours, vous, vous ne cessez d'innover et de surprendre… D'où vous vient cette énergie créatrice ?
C'est sans doute la curiosité... Je considère ce qui a été fait un peu comme des maquettes, je suis toujours à la recherche du morceau idéal. C'est un long chemin où chaque morceau, chaque projet est une pierre à un petit édifice personnel que je me construits en espérant que le public me suive. Ma vie, c'est ça ! Parfois, pendant les cinq ans où j'étais en studio, je me suis dis que je pourrais quand même partir à la pêche, essayer l'astrophysique, voyager… Ben non, moi je rêve de passer la plupart du temps dans le studio, derrière les instruments. La musique est une addiction comme pour un certain nombre de personnes avec qui j'ai pu travailler. On ne fait pas de la musique pour s'amuser, c'est comme une drogue et parfois elle nous fait vivre des moments douloureux et des moments de doute aussi... Et en ce qui concerne l'excitation, on se la communique des deux côtés, on a besoin les uns des autres. Si les gens ont besoin des musiciens, les musiciens,eux, ont besoin de gens qui partagent cette espèce de jubilation, d'excitation pour pouvoir aller plus loin et générer des moments qui ne sont pas seulement des moments de plaisir, mais des moments importants où l'on a besoin de relever la tête, particulièrement après les douloureux événements qui ont eu lieu dans notre pays ces derniers mois.
Propos recueillis par Jérôme Gaillard
Les artistes présents sur Electronica 1 et 2 : Boys Noize, M83, Air, Vince Clarke, Little Boots, Fuck Buttons, Moby, Gesaffelstein, Pete Townshend, Tangerine Dream, Laurie Anderson, Armin van Buuren, Massive Attack, John Carpenter, Lang Lang, Rone, Pet Shop Boys, Juila Holter, Primal Scream, Gary Numan, Hans Zimmer, Edward Snowden, Peaches, Sébastien Tellier, The Orb, Siriusmo, Yello, Jeff Mills, Christophe et Cindy Lauper
Jean Michel Jarre sera en concert le 26 novembre au Zénith de Dijon à 20h00
Commenti