ERIC LAMOUREUX & HELA FATTOUMI, LA RENCONTRE COMME DECLENCHEUR !
- magazinemagma
- 10 janv. 2017
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 sept. 2019
La rencontre ne vient jamais seule et les conséquences de celle-ci peuvent quelquefois avoir des rebondissements infinis. Celle d'Héla Fattoumi et d'Eric Lamoureux, à la fin des années 80, aura participé à la création d'un nouveau langage chorégraphique et d'un nouveau visage de la danse contemporaine ! C'est ce que Le Festival Art Danse 2017 se propose de vous faire (re)vivre à travers les pièces fondatrices de ce duo duelliste et fusionnel. Des origines à la dernière vague, rencontre avec Eric Lamoureux.

Eric, Héla, vous ne présentez pas moins de trois pièces dans le cadre du Festival Art Danse, Waves, Husaïs et Après midi. Dans les deux derniers cas, il s'agit de créations qui ont marqué votre parcours puisqu'elles sont vos premières pièces primées. Rappelez-nous les circonstances de ces prix !
Husaïs, c'est le duo fondateur, le premier acte cosigné avec Héla qui a obtenu, en 1990, « le prix de la première œuvre » au concours de Bagnolet. De nombreuses pièces étaient repérées grâce à cet événement qui nous permettait d'être « injectés » sur un parcours de créateur. En 1991, c'est Après-midi, qui recevait le « prix nouveaux talents Danse » de la SACD. Ces pièces sont nées dans les années 90, juste après l'explosion de la danse d'auteur des années 80, qui ont vu surgir une myriade de chorégraphes et des signatures esthétiques très diverses. Dans ce contexte d'émergence, nous avons fabriqué un duo qui requestionne les fondamentaux de la danse contemporaine, en tous cas c'est ce qu'on a dit à l'époque. Husaïs est composée de deux monologues, deux solitudes avec une vraie économie de gestes, assez minimaliste donc avec, en revanche, des déflagrations, des fulgurances gestuelles inédites pour l'époque,et puis, en plateau, deux êtres fondamentalement différents en capacités et qui pendant de brèves séquences peuvent fusionner et devenir un corps commun ! C'est donc une pièce composée de nos deux singularités, nos deux intensités de présences absolument opposés dans l'imaginaire du corps... A l'époque, je venais juste de quitter ma carrière de sportif, j'entrais dans la danse, Héla dansait depuis longtemps déjà! On a donc été repérés et programmés très vite dans des lieux référents. Pour Après-midi, nous avons fait entrer une extériorité au duo, une troisième personne, un autre homme. Cette pièce a tourné dans toute l'Europe, ce qui nous a permis d'affermir une reconnaissance naissante du milieu, des programmateurs puis du public… Voilà comment tout a commencé !
Les trajets de chorégraphe commencent par un ou deux actes fondateurs qui permettent d'inscrire un geste particulier dans l'ensemble des gestes préexistants et c'est comme ça que démarre un trajet d'artiste.
Qu'évoquent ces deux pièces ?
Husaïs était arrimé à un aphorisme de Peter Handke qui disait : « Il faut que je me déshabitue à la mauvaise conscience lorsque je ne ressens rien! ». Cela questionnait la relation et le fait qu'une relation n'est jamais simplement binaire mais qu'elle comporte énormément de strates de complexité.
Après-midi est un travail sur l'inconstance, le déséquilibre, la recherche d'équilibre qui n'est jamais atteinte du fait d'éléments perturbateurs. C'est l'histoire de trois solitudes qui vont se rencontrer dans des séquences fusionnelles ou plus âpres entre ces deux hommes et cette femme. On intègre à l'époque, des fauteuils à bascules surélevés et très instables comme agent déclencheur du mouvement et de l'imaginaire du corps. On travaille sur les élans, les élans brisés, sur un minimalisme dans l'engagement des corps sur des champs tensionnels qui sont poussés à l'extrême et sur la déflagration et la fulgurance en langage chorégraphique !

Avant de devenir danseur, vous évoluiez en tant que footballeur. Est-ce faux de prétendre que certains mouvements de vos chorégraphies s'inspirent de cette discipline ?
J'étais footballeur de haut niveau, je jouais milieu de terrain, j'ai arrêté au moment où je commençai à être approché par des clubs pro. Héla et moi nous nous sommes alors rencontrés à la faculté et, découvrant la danse, j'ai opéré une vraie déviance de trajet en passant du corps performatif au corps poétique m'ouvrant une forêt de possibles absolument inédite.
Vous connaissez ce geste du tacle quand on va se coucher au sol pour essayer de prendre le ballon à l'adversaire ? C'est vrai, il y avait de cet imaginaire là ! Et puis, à l'époque, un des gestes que je faisais dans Husaïs qu'on a nommé la crête, ressemblait beaucoup à un mouvement hip hop alors que celui-ci, en France, n'existait pas encore. Il a fait partie des gestes qui ont éminemment marqué, on ne l'avait jamais vu sur un plateau. Je pense que cela a participé à aiguiser l’acquitté des regardeurs de l'époque.
On s'aperçoit, en regardant des vidéos de l'époque, que votre danse était vraiment avant-gardiste et n'est pas du tout datée !
On a vraiment fait irruption, nous n'étions pas du tout du sérail ! L'art était étranger à ma culture du fait de mon éducation, j'ai été un petit garçon dans la norme qui joue au foot et au cow-boy. Héla, elle, a fait du classique, du jazz, elle avait des capacités physique assez exceptionnelles. Bref, on a remonté ces pièces pour mieux comprendre leur impact à cette époque. En les transmettant, nous avons pu les voir et à part les moments musicaux, j'ai vraiment le sentiment qu'elles ont bien traversé les années, en tous cas au niveau du langage ! C'était la bonne surprise en les remontant.
Pourquoi avoir associé Peter von Poehl au projet Waves ?
Waves, c'est une histoire vraiment folle, notre trajet est parsemé de cadeaux et celui-ci vient d'une commande de la maison d'opéra de Umeå en Suède qui a l'habitude, tous les deux ou trois ans, de passer commande à un chorégraphe et de lui donner… l'orchestre symphonique pour une carte blanche ! (rires) Alors voilà, nous avions 70 musiciens … et que faire ? On s'est dit que rarement étaient projetés danse contemporaine et pop music et on a rencontré Peter... Quand on a proposé notre projet à Umeå, on nous a dit : « Et pourquoi pas ? Allons-y ! ». Peter a du nous faire une chanson d'une heure sachant qu'il y aurait une transcription pour l'orchestre derrière. Il n'était pas possible de tourner avec l'orchestre et ça c'est tellement bien passé avec Peter que nous l'avons intégré avec deux autres musiciens au process avec cette notion de live band. Une vraie belle rencontre artistique qui se poursuit en ce moment avec la fabrication d'un objet hybride que l'on présentera en février dans le cadre du festival Génériq à Dijon, Belfort et Besançon : Sympathetic Magic!
Musique et danse s'enchevêtrent tandis que les corps se caressent, se frôlent… Waves, c'est une vague d'amour ?
C'est plus une vague de fraternité avec une dimension utopique, un nous possible !
La musique de Peter est très mélodieuse et en danse contemporaine on prend souvent ses distances avec les notions de mélodie, d'harmonie… Alors, là encore, nous avons placé un agent déclencheur, un décor aux antipodes de la musique fait de brisures, de plans inclinés où le danseur est systématiquement en difficulté puisque rien n’est droit ! Tout cela s'oppose et créé tant de problèmes que les danseurs ont été obligé de trouver des solutions, faisant de sorte que se frottent ces lignes mélodiques à cet environnement rugueux. Ce sont des éléments fondateurs de Waves. Il y a aussi cette notion de « ban de poissons » qui selon sa définition (une organisation non hiérarchisée d'individus de la même espèce) et de son fonctionnement que les scientifiques ont réussi à décrypter : Il s'agit d'une contagion d'individu à individu en temps réel où aucun élément ne prend de décision, celle-ci est collective par contagion et le ban agit en réactivité absolue. Cela nous paraissait intéressant sur le plan politique.
Finalement ce qui symbolise le mieux votre danse c'est la rencontre, une leçon de physique…
Écoutez, au-delà du concert dansé Sympathetic Magic, on se lance dans une nouvelle pièce avec Héla qui verra le jour en septembre prochain. Nous avons pris un peu de recul, cela fait deux ans que nous n'avons pas créé de nouvelles œuvres puisque nous sommes arrivés il y a un an et demi à VIADANSE et il a fallu tout reconstruire et mettre en œuvre le projet… Dans notre danse, il y a une notion qui revient de façon récurrente et qui fera l'objet de cette prochaine pièce, c'est l'altérité ! Cela répond clairement à votre question ? Chez nous, cela exprime vraiment cette extériorité, ce hors soi, cette chose complètement différente de soi et évidemment la condition de la rencontre, de l'enrichissement, de l'augmentation de soi. Cette thématique est récurrente dans notre travail et elle sera d'autant plus saillante ici puisque nous créons 7 présences à côté de 7 danseurs…
Propos recueillis par Jérôme Gaillard
17 janvier à 20H00 : Waves à l'Espace des Arts – Port Nord, Chalon sur Saône
26 janvier à 20H00 : Husaïs et Après-Midi au Théâtre Dijon Bourgogne, salle Jacques Fornier
15, 16 et 17 février : Sympathetic Magic à Dijon (Atheneum), Belfort (Viadanse), Besançon (CDN)
pour en savoir plus : www.art-danse.org / www.viadanse.com / www.generiq-festival.com
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