GERALD BLONCOURT, L'HISTOIRE D'UNE REVOLTE
- magazinemagma
- 7 sept. 2017
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 sept. 2019
Il y a des événements qui déterminent le reste de votre vie : un amour, un accident, une passion, un voyage… Pour Gérald Bloncourt, ce fut la révolte ! L’Humanisme chevillé au corps, Bloncourt, à sa manière, passera sa vie en militant pour le progrès social et contre toutes les formes d’oppression. Un de ses amis, un certain Brassens le surnomma d’ailleurs « Révolution » ! Aujourd'hui, Magma Magazine le rencontre pour vous dans le cadre du premier festival 360°, Panorama de la photographie transculturelle en métropole dijonnaise et à Besançon. Entretien avec un grand homme né en Haïti il y a… 91 ans !

Monsieur Bloncourt, vous êtes né en Haïti, comment êtes-vous arrivé à Paris ?
Oui, j'ai démarré ma vie en Haïti où je me suis battu contre la dictature ce qui m'a valu, à 19 ans, d'être arrêté, emprisonné et condamné à mort ! J'ai tenté de m'évader trois fois et la dernière fut la bonne. Grâce à André Breton, à Pierre Mabille et à une bande d'écrivains célèbres qui ont signé une pétition, on m'a expulsé et envoyé en République dominicaine dans les bras de Trujillo qui était un autre dictateur et qui m’a coincé ! A bord du bateau qui m'a emmené vers la Martinique, parce que j'avais interdiction de passer par les Etats-Unis, j'ai retrouvé André Breton, il m'a nourri pendant trois jours… J'avais tout lu de Breton mais il a commencé à débiner le parti communiste, Aragon, Elsa Triolet tout ça… Breton était un dieu pour moi mais moi j'étais communiste et je me disais qu’il n’avait rien compris. Je ne pouvais pas non plus mettre en doute Breton que j'adorais. Arrivé en France, j'ai traversé des moments terribles quand, peu à peu, je découvrais qu'il avait raison et que ce qu'il m'avait dit était même en deçà de la réalité. Quand je suis arrivé en Martinique, Aimé Césaire s'est occupé de moi et j'ai gardé l'autorisation de « rentrer » en France signée Marius Moutet, ministre de la France d'outre-mer… Et me voilà à Paris !
Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
Quand je suis venu en France, j'étais graveur et peintre, je préparais le professorat de dessin d'Etat de la ville de Paris, je vivais chez ma tante et puis, par hasard, j'ai trouvé un job dans une boîte de photographie qui s'appelait pompeusement les Editions photographiques universitaires. Il y avait trois maisons là-dedans, moi je travaillais pour Rativet qui était en contrat avec l'Education nationale. On faisait toute la France, il fallait mettre le chapeau melon, la cravate, on photographiait le groupe scolaire, le proviseur, sa femme, ses enfants… Et moi, ça m'emmerdait ! J'y allais avec la grosse chambre 18/24 mm, le pied, le voile, la poire… Pof ! J'ai découvert la photographie comme ça, et techniquement ça me passionnait mais le patron voyait bien que les photos de ce genre ne m'intéressaient guère alors il m'a envoyé photographier les vitraux de la cathédrale de Chartres. Comme j'étais militant communiste à l'époque, on a entendu parler de moi, j'ai été convoqué et on m'a demandé si je voulais travailler à L’Humanité. On photographiait des ouvriers en grève, on les mettait devant l'usine : « Souriez ! » Paf ! Et la photo était faite ! Ca faisait la Une de L’Huma. Mais je me suis dit c'est pas possible, on dirait mes photos scolaires ! Alors je me suis battu (lire sur ce sujet l'ouvrage de Gérald Bloncourt L’œil en colère, ndlr) pour imposer les cicatrices, les grimaces, les gestes, la colère de ces hommes. J'ai manqué d'être foutu à la porte mais j'ai été soutenu par un type qui s'appelait Jean-Pierre Chabrol, qui a dit : « Mais c'est un chef-d'œuvre ! » (rires) et finalement j'ai été nommé responsable politique du département photo de L'Huma. Là, j'ai fait du sport, du basket, du football, de la boxe, beaucoup de boxe au Vél' d'Hiv (le Vélodrome d'Hiver à Paris, ndlr), on travaillait alors avec des appareils à plaques… J'ai suivi les étapes du Tour de France aussi, ici on avait deux magasins de douze photos et en guise de flash on mettait de la poudre… J'ai vraiment suivi toute l'évolution de la photographie jusqu'à aujourd'hui avec le numérique. Voilà comment je suis venu à la photo. Comme j'étais peintre et sculpteur j'avais une certaine culture de l'image et je pense que cela m'a influencé mais il y a une différence profondément révolutionnaire entre la photo et la peinture, la photographie, c'est l'art de l'instant !
Habitué des dictatures vous êtes allé au Portugal sous Salazar pour témoigner de l’oppression dont souffrait le peuple portugais…
J'ai voulu voir d'où venaient ces gens qui fuyaient la dictature pour rejoindre les bidonvilles autour de Paris alors je suis allé au Portugal, j'ai fait la traversée des Pyrénées avec certains d'entre eux, de l'Espagne vers la France, c'était incroyable… Ils ne voulaient pas de photos bien sûr mais j'en ai quand même pris quelques-unes (rires). J'ai donc découvert ce pays qui est d'une beauté incroyable avec des paysages et des villes magnifiques et puis tout une Histoire, une grande Histoire et des gens d'une grande générosité. Une fois, lorsque je remontais vers le Nord ayant quitté Porto, je recherchais à manger, j'ai vu une sorte d'hôtel où je suis entré. Il y avait une petite table, le type m'explique ce qu'il y a à manger. Plus loin, il y avait une grande table avec une quarantaine de personnes, c'était un mariage. Les gens ont vu que j'étais seul alors ils sont venus me chercher et c'est là que j'ai découvert le fameux vinho verde (rires) ! J'ai traversé tout le Portugal sans parler la langue… Les gens étaient écrasés sous le poids de la dictature et donc, un peu méfiants mais quand ils se rendaient compte de ce que je faisais… Pour rentrer en France, j'ai dû cacher mes pellicules dans une chaussette et me la coller dans le dos avec de la bande adhésive. J'avais repéré deux types qui me suivaient partout alors j'avais mis une quinzaine de bobines sans importance dans ma valise, ils m'ont tout pris et j'ai invoqué le droit d'expression, j'ai brandi ma carte de presse, ainsi ils ont pensé m'enlever mon butin. Mais tout était dans mon dos. J'ai pu ramener mes images et les montrer en France. J'ai connu ce Portugal mais aussi celui de la Révolution des Œillets. Il n'y avait plus de place dans les hôtels ni dans les restaurants et c'était très difficile de faire des photos tellement il y avait de monde, j'en ai fait quand même quelques-unes que vous verrez au Zénith de Dijon durant le festival 360°. J'ai vu des gens qui sortaient de prison et qui n'avaient pas vu leur famille depuis plus de dix ans, j'ai assisté à des scènes d'une rare émotion. De retour à Paris quelques-unes de mes images ont été publiées mais ce qui m'intéressait c'était de transmettre cette mémoire, c'était le plus important !
Aujourd'hui, j'ai des échanges presque permanents avec le Portugal et j'ai toujours une expo ou une autre qui court à travers la communauté portugaise. J'ai d'ailleurs offert 103 photos au musée de l'Emigration portugaise et des Communautés à Fafe.
Avant la révolution portugaise, vous avez couvert Mai 68 aussi ?
Oui, une de mes photos avait fait la couverture du Nouvel Observateur, je suivais les événements chez Renault mais je m'échappais de temps en temps pour aller voir du côté des barricades. Je me souviens de la première nuit des barricades, il y avait un de ces spectacles dans le ciel avec ces lueurs d'incendies, et ces fumées… J'ai fait cette photo, je l'ai développée dans la nuit et le lendemain matin, c'est le journal la Croix qui l'achetait !
Vous avez photographié le sport, les mouvements sociaux, l'immigration, les monuments mais avez-vous photographié, comme moi, le monde du spectacle ?
Oui, bien sûr, j'ai par exemple une belle série de 36 photos du mime Marceau, parmi toutes celles que j'ai faites de lui, où il faisait des mimes en parlant. En 36 secondes, j'ai eu 36 expressions différentes, un être étonnant et d'une gentillesse incroyable. J'ai aussi été celui qui a fait les premières photos de Belmondo dans son premier film. Brassens, c'est Jean-Pierre Chabrol qui me l'a présenté, il était très ami avec Catherine Sauvage chez qui on allait manger une fois par semaine. Une fois, elle nous dit jeudi, je vous présente un type exceptionnel. Gérald, surtout, amène tes appareils ! Le jeudi arrive, on sonne, la porte s'ouvre… Une grosse pipe, une guitare sous le bras, un pantalon de velours… C'était quelque chose, on avait les premiers autoradios et j'avais entendu La Mauvaise Réputation dans ma voiture, donc je connaissais un peu son travail. On a fini par être copain et avec Chabrol on est allés le voir ensuite dans le 14ème, là-bas je l'ai vu composer Le Petit Cheval Blanc et Les Amoureux sur les Bancs Publics. J'ai rencontré et photographié Brassens, bien sûr, Yves Montand, Chabrol, Lemarque (Sous les ponts de Paris, ndlr), Charlie Chaplin, Devos, Gainsbourg, Bardot, Brel, Ventura, Trenet, Picasso, Marais, Cocteau, Neruda, Piaf, Fernand Raynaud, Blaise Cendrars…
Après avoir vécu tout cela, la révolte est-elle toujours en vous ?
En ce qui me concerne, je reste fondamentalement arrêté aux idées de gauche et ma lanterne c'est le siècle des Lumières. J'ai donné ma vie pour cela, et mon frère a été fusillé par les nazis pour cela…
Toute ma vie, les valeurs humanistes m'ont accompagné.
Propos recueillis par Jérôme Gaillard
Pour aller plus loin sur la Révolution haïtienne :
http://africultures.com/revolution-surrealiste-en-haiti-4067/
Le site de Gérald Bloncourt : http://bloncourt2.over-blog.com
Le site du festival : www.festival-360.com
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