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ELINA DUNI, UNE VOIX SANS FRONTIERE

  • magazinemagma
  • 9 janv. 2015
  • 4 min de lecture

Au cœur d'une programmation déjà excitante, Elina Duni a illuminé le récent D'Jazz Nevers Festival. Entre l'Albanie où elle a grandi et la Suisse où elle réside, la jeune femme transporte le public aux quatre coins de l'Europe, au gré d'un chant à la fois mélancolique et radieux. Au-delà du jazz et du folk-song, qui flottent entre tradition et modernité, la poésie et le verbe tiennent une place de choix dans son univers.

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Elina Duni© Jean-Michel Marchand

Elina Duni, vous avez grandi à Tirana, où vous êtes née en 1981. Une mère écrivain et un père metteur en scène, cela a sans doute favorisé votre vocation artistique puisqu'il paraît qu'à 5 ans vous étiez déjà sur scène ?

J'ai grandi à Tirana, à l'époque où l'Albanie était encore fermée sur elle-même. C'était une autre époque, un autre monde… Bref, enfant, je chantais tout le temps. Dans la famille de mon père, on chantait beaucoup. La musique était de toute façon très présente en Albanie. Et puis un jour un ami de ma mère, compositeur, m'a entendue. Comme il y avait un festival réservé aux enfants, je me suis ainsi retrouvée sur scène au milieu d'un orchestre de trente personnes. Avec les cuivres, les cordes… Mais pour moi, c'était naturel, une évidence...

L'Albanie des années 80 se trouvait sous le régime communiste. La vie alors était-elle belle pour une enfant de Tirana ?

Oui, la vie était très belle. D'abord parce qu'il faisait toujours très beau (rires), ensuite parce qu'on n'avait pas grand-chose et qu'il suffisait de peu pour nous contenter. Et puis, surtout, Tirana était un paradis pour les enfants, il n'y avait pas de voitures, les rues nous appartenaient. C'était comme la campagne en pleine ville avec beaucoup de petites maisons à un étage ou deux, plein de jardins... Quasiment pas d'immeubles.

Quels musiciens et chanteurs écoutiez-vous ?

Des chanteurs de variété albanaise. Très peu de folk à cette époque, car la musique folklorique avait été récupérée par le parti communiste qui en avait fait une de ses armes favorites. C'était principalement un outil de propagande. Sinon, on écoutait beaucoup de la musique pour enfants, du classique et ma mère aimait beaucoup les chanteurs italiens. Adriano Celentano, Gianni Morandi...

En 1992, alors que le régime communiste a chuté, vous suivez votre mère qui quitte l'Albanie pour la Suisse…

Oui, à ce moment-là, tout le monde voulait partir. Les Albanais pensaient n'avoir aucun avenir dans leur pays qui était très pauvre. C'était un grand chaos. Mes parents avaient divorcé et ma mère avait rencontré un Suisse, avec qui elle allait se remarier. C'est l'amour qui l'a menée à Genève…

Genève, Lucerne, puis Berne où, quelques années plus tard vous allez vous aussi rencontrer l'amour… grâce à la musique (NDLR : Elina est la compagne du pianiste Colin Vallon).

Oui, j'étudiais le chant et la composition à Berne (Swiss Jazz School). J'aimais beaucoup ce que faisait Colin Vallon avec son trio. Il connaissait aussi la musique des Balkans, la musique klezmer, yiddish… Il m'a proposé d'adapter des chansons de mon pays comme des standards de jazz… Evidemment, j'ai dit d'accord.

Ainsi est né, en 2004, le Elina Duni Quartet*... Quel rapport avez-vous entretenu avec l'Albanie au fil du temps ?

Adolescente, j'y allais une fois par an, pour voir la famille. Mon lien avec l'Albanie est devenu plus fort lorsque j'ai créé ce projet, lorsque j'ai commencé à chanter en albanais.

Albanais, anglais, bulgare, turc, roumain, français…

Vous exprimez presque toutes les langues européennes...

Oui, mais attention, je ne maîtrise pas toutes ces langues (rires…) Mais l'albanais a un grand avantage, c'est une langue très riche en sons. C'est pourquoi il nous est plus facile d'imiter d'autres sons et donc d'autres langues.

Vos chansons combinent le jazz et le folklore, que racontent-elles ?

Par exemple sur le dernier album, Matanë Malit, qui signifie Au-delà de la montagne, il y a des chansons d'exil, des chansons d'amour, des chansons pastorales. Il y a aussi cette chanson que m'a appris mon grand-père. Elle évoque la résistance. Il était Partisan et est parti à l'âge de 12 ans combattre les fascistes. Il y a aussi ce morceau jazz, un peu sensuel, qui parle de la brise du printemps qui rend les jeunes hommes un peu fous lorsqu'ils attendent les jeunes filles sous les mimosas en fleurs… Cette chanson de 1962 fut d'ailleurs interdite par le régime communiste. Ce qui m'importe surtout, c'est de raconter des histoires plus que d'égrener des chansons. C'est important de pouvoir comprendre un minimum et de pouvoir ainsi se construire son propre voyage.

Vous êtes donc proche du story-telling propre au folk-song ?

Oui, il ne faut pas oublier que l'albanais est une langue orale très ancienne. Mais elle n'a été écrite qu'à partir du XIXe siècle seulement. Et puis, il y a la grande tradition des rhapsodes. On dit d'ailleurs que l'Iliade d'Homère a été racontée en rhapsode. Cette tradition de chant évoquant les héros et accompagné du luth albanais (llautë) est hélas en voie de disparition.

Entre la Suisse et l'Albanie, votre cœur balance ?

Je me sens à la fois Suisse et Albanaise. J'essaie de concilier ces deux cultures et de prendre le meilleur des deux. Le jazz suisse se porte très bien, il commence à s'exporter avec succès. La Suisse m'a beaucoup donné. Je dis toujours que la Suisse, c'est ma chance. Il faut chasser un peu les préjugés et ne pas oublier, entre autres, que la Suisse est très métissée, et puis c'est le cœur de la Croix-Rouge et de l'ONU…

* Elina Duni Quartet : Elina Duni (chant), Colin Vallon (piano), Patrice Moret (basse) et Norbert Pfammatter (batterie)

Propos recueillis par Jean-Michel Marchand

Interview réalisée en partenariat avec BAC FM 106.1 ; à retrouver en intégralité en podcast sur www.bacfm.fr

 
 
 

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