JEAN-LOUIS HOURDIN, LE CHOC DES CONSCIENCES
- magazinemagma
- 9 nov. 2015
- 4 min de lecture

Jean-Louis Hourdin (au centre, accompagné de Martine Schambacher, François Chattot, et Christian Jehanin dans Et si on s'y mettait tous ! L'art de faire de la vérité une arme maniable !)
« Nous avons enfin nettoyé les logements sociaux de la Nouvelle-Orléans. Dieu a réussi là où nous avons échoué. » (propos de Richard Baker, le représentant républicain de La Nouvelle-Orléans, suite à l’ouragan Katrina)
Croiser Marivaux et Naomi Klein, quelle étrange idée ! Un ovni théâtral pourrait-on se dire. Mais non, Jean-Louis Hourdin sait parfaitement ce qu’il fait. Il articule le théâtre classique et le documentaire de façon poétique et réfléchie afin de réveiller la pensée chez le militant qui sommeille en nous et analyse le monde à travers le fléau de l’ultra-libéralisme en abordant la vieille question du maître et de l’esclave. Mais aussi l’engrenage des lobbies financiers, depuis la théorie monétariste de Milton Friedman, qui a fait glisser notre monde vers le pire depuis les 50 dernières années. Nous devons reprendre possession de notre propre liberté et ne plus se laisser piétiner par certains hommes. C’est en substance le message envoyé par le metteur en scène de 71 ans. Le rendez-vous est donné le 17 novembre à Mâcon pour comprendre le monde selon Hourdin : Vous reprendrez bien un peu de liberté… ?
Ce rapprochement entre un essai politique moderne, La Stratégie du choc de Naomi Klein, et une œuvre du théâtre classique, L’Île des esclaves de Marivaux, c’est inattendu. Comment avez-vous eu l’idée de cette pièce ?
Je suis tombé sur les livres de Naomi Klein et j’ai pleuré à la page trois lorsqu’elle rapporte les propos d’un républicain suite à l’inondation de la Nouvelle-Orléans : « Nous avons enfin nettoyé les logements sociaux de la Nouvelle-Orléans. Dieu a réussi là où nous avons échoué. ». Du côté de Marivaux, on assiste à une lutte des classes primitive. À travers cela, on observe les hommes comme dans un laboratoire. Je trouvais que le choc des deux était joli. Et il y avait un côté rigolo à faire entrer le monde dans le théâtre. J’ai voulu être naïf et simple et je laisse le spectateur juger par lui-même.
En croisant documentaire et fiction dans votre théâtre, participez vous à la confection du du média de demain ?
Depuis une quinzaine d’années, je fais des montages politico-politiques. Cela vient d’un constat simple, le monde devient de plus en plus glacial et je veux en parler. Je suis un citoyen et le théâtre est un art de la communauté. Je n’arrive pas à monter du théâtre classique, il y a des metteurs en scène qui le font et c’est très bien. Personnellement, je m’inscris plutôt dans la filiation de Federico Garcia Lorca assassiné par les milices franquistes. Je fais du théâtre militant de l’humain. Le monde est trop méchant et si je n’en parle pas, je ne fais pas mon boulot. L’homme de théâtre veut être présent à son monde. Notre art dramatique passe par la poésie, il en faut pour faire du théâtre militant. Il faut qu’une pensée apparaisse sinon on est juste un militant. Le théâtre est un art archaïque, c’est le premier média donc par définition c’est aussi le média de demain.
Vous faites intervenir les spectateurs dans la pièce, vous leur poser des questions, vous suscitez des réactions. Est-ce que vous utilisez le théâtre comme un espace de dialogue ?
Dans l’idéal, le théâtre est un espace de dialogue, un espace de paroles. Il y a une grande part de communautarisme aussi dans le sens où le théâtre est né pour parler de la communauté. C’est un art éminemment communautaire et populaire où on parle de l’état du monde. Malheureusement, on a perdu cette communauté. L’utopie de l’homme de théâtre est de s’adresser au monde. Avez-vous remarqué qu’il n’existe pas de pièce sur le bonheur ? Notre fatalité c’est de danser sur le malheur.
Le titre de la pièce « Vous reprendrez bien un peu de liberté… ou comment ne pas pleurer ? » est à la fois triste et plein d’espoir. Quel est le message ?
Le message que je souhaite envoyer, c’est réveillez-vous ! Selon Milton Friedman, la liberté c’est que tout le monde se bouffe et puis tant pis. Mais la liberté ce n’est pas ça et il y aura toujours des hommes pour en parler. J’aime cette phrase qui dit que « nous devons quitter ce que nous sommes pour aller vers ce que nous ne sommes pas ».
Milton Friedman prônait un modèle où l’économie prend le pas sur le politique, le social et le culturel. Un modèle néolibéral qui ressemble à notre système moderne. A-t-on encore de l’espoir en France pour sortir de ce néolibéralisme ?
En France, nous avons encore de l’espoir, c’est la démocratie. Le problème c’est que ce ne sont plus les gens pour qui nous votons qui ont le pouvoir. Ce sont les lobbyistes. Même le président français n’a aucun pouvoir puisqu’il applique ce qui est décidé à Bruxelles. Et même à Bruxelles, au parlement européen, les députés n’ont pas le pouvoir. Ce sont les gens qu’on n’a pas élu qui le détienne. On commence par sortir de ce système quand on en a pris conscience. J’espère, avec ma pièce, faire réfléchir les spectateurs, c’est le début d’une prise de conscience.
On a réduit le budget de la culture et par là, celui du théâtre aussi. Comment s'accommode t-on avec cela ?
Il y a une phrase de Sarkozy qui résume bien cela : « Donnez de l’argent à ceux qui en rapporte ». Si on va par là, évidemment, le théâtre devient une industrie comme les autres et le théâtre n’est plus du théâtre. Vous savez, cela fait 15 ans que les directeurs de théâtres ne viennent plus voir mes spectacles. Mon art s’est politisé et ils prennent de moins en moins de risques. Et puis il faut absolument remplir les bancs, qu’il y ait du monde. Cela dit, ça ne m’empêche pas de faire des pièces. Il y aura toujours des pièces militantes. Beaucoup de jeunes compagnies en font et dénoncent des scandales sur Elf, le Rwanda…. Je ne suis pas le seul à faire ça.
Propos recueillis par Cynthia Benziane
pour en savoir plus : www.theatre-macon.com
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