PAULINE BUREAU, LA VIE DES AUTRES
- magazinemagma
- 6 mars 2017
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 sept. 2019
Vouloir maigrir un jour et risquer d’en mourir. « Mon cœur » de Pauline Bureau tisse l’histoire d’un scandale, celui du Médiator, qui a tué près de 2000 personnes et aborde les vies brisées que ce médicament a semées. A travers les maux et les paroles de Claire, Irène et Hugo, ce spectacle mêle subtilement réel et fiction et nous emmène dans une aventure humaine singulière.
Echange avec l’auteure et metteure en scène, Pauline Bureau, artiste associée du TDB (Théâtre Dijon Bourgogne).

Pauline, pouvez-vous expliquer l’importance des trois personnages principaux de « Mon cœur »?
Nous suivons le parcours d’une victime du Médiator entre 2001 et 2017. Claire Tabard commence à prendre du Médiator en 2001 pour éliminer quelques kilos en trop. Elle a 38 ans, un enfant de 8 ans, elle est célibataire. Elle tombe malade, un problème cardiaque. On se dit que « c’est pas de chance ». Elle est opérée à cœur ouvert en 2009. Elle va ensuite comprendre qu’elle a été empoisonnée. Elle est victime d’un scandale sanitaire. Toute l’histoire raconte comment se relever de ça et explique qu’être victime c’est aussi avoir des droits, avoir la possibilité de demander une indemnisation. On croise aussi toute la galaxie de cette femme, ce que signifie la maladie pour elle, pour son corps, pour son enfant, pour son mec, pour sa sœur, pour son travail. Claire Tabard est un personnage de fiction mais elle porte en elle un peu de chaque victime.
Irène Frachon est la pneumologue. C’est elle qui comprend que le Médiator tue, et qui va se battre jusqu’à ce que ce médicament soit interdit. C’est elle aussi qui lutte pour que les malades soient indemnisés. Chacune des victimes est debout grâce à elle. Elle a relevé les gens avec une humanité, une compassion et une force rares. C’est une femme exceptionnelle.
Hugo est avocat et avec lui on se pose la question du droit des victimes en France. Comment la justice indemnise-t-elle, quels sont les barèmes, les critères, combien vaut une vie ? Cette problématique de justice m’a passionnée. Tout est chiffré et en même temps, il n’y a pas de système plus juste qui existe. Pourtant, c’est complètement fou de dire : « Bon ben voilà une vie humaine à tel âge, à tel moment, ça vaut combien ? » ; « Ben ça vaut tant, ne plus pouvoir avoir d’enfant ça vaut tant, ne plus pouvoir avoir de rapport sexuel, c’est tant. » Vous voyez ce que je veux dire…
Pourquoi avoir choisi ce titre « Mon cœur » ?
Le médiator attaque le cœur ! Il crée des valvulopathies cardiaques, les victimes sont opérées à cœur ouvert et on en remplace une partie par des valves mécaniques. C’est un traumatisme de ne plus avoir le même cœur. Ce mot revenait beaucoup lors des entretiens : « Je sens battre mon cœur, j’entends mon cœur, c’est plus pareil mon cœur… ». En l’entendant, je me suis dit que ca ferait un joli titre.
Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce spectacle ?
J’ai entendu Irène Frachon, la lanceuse d’alerte. Ce qu’elle a dit m’a beaucoup touchée. Je l’ai rencontrée. Elle m’a beaucoup parlé des malades, raconté comme est né ce scandale sanitaire et de quelle façon elle en est devenue la porte-parole. J’étais très émue car je la voyais bouleversée. Elle m’a donné les coordonnées d’un certain nombre de victimes. J’ai eu envie de faire un spectacle avec cette histoire-là ; celle de ces personnes qui ont pris un médicament coupe-faim, une fois, un jour parce qu’ils avaient des kilos en trop et qui vont finir par être opérés à cœur ouvert. J’ai rencontré une dizaine de personnes. Des victimes, beaucoup de femmes d’ailleurs, ainsi que des médecins, des experts et des avocats. J’ai voyagé de Paris à Marseille, Lille, Brest, Carcassonne. C’est assez fort d’aller chez une personne, de passer la journée avec elle, de prendre ce temps-là et de voir se dessiner une carte de France des victimes et des dégâts du Médiator.
C’est donc une vraie enquête que vous avez menée ?
J’ai passé du temps à lire l’ouvrage d’Irène Frachon (Avec le Médiator, j’ai déterré un charnier, ndlr) et à le comprendre. Comme ça a été très couvert médiatiquement, il y’a eu beaucoup d’articles de journaux et de documentation dont les comptes rendus de l'Afssaps, l’Agence nationale de sécurité du médicament, qui sont disponibles ainsi que les questions à l’Assemblée. Cela faisait une masse de documentation en plus de celle, plus sensible et personnelle, des interviews que j’ai menées. L’enjeux était aussi de sortir de cette documentation pour faire un spectacle, vraiment un spectacle. Une histoire qui s’inspire du réel mais qui est complètement fictionnelle.
Qu’est-ce qui est important pour vous dans cette histoire?
On part du postulat qu’il y a un laboratoire qui a tué des gens et qui les a tués sciemment. Pour ce qui est des autres messages, ça peut être interroger les normes physiques qui sont totalement omniprésentes et incorporées chez nous, ou de se poser la question de la corruption en France, du système de santé et de la pharmacovigilance. Ce qui m’intéresse dans cette histoire, c’est quelle est vraiment polysémique même si le message fondamental est de dire « tu ne tueras point ». Le spectacle, c’est d’ouvrir un certain nombre de questions et de découvrir tout un aspect de mon pays et comment fonctionnent un certain nombre de choses en France.
Ce spectacle est différent de vos précédents, en quoi ?
« Mon cœur » est la 4e création que j’écris. Les autres pièces que j’ai écrites avant étaient des histoires personnelles. Je partais de mon vécu. Là, tout en continuant à interroger un certain nombre de choses qui me parlent, j’avais envie de m’appuyer sur du réel et sur une histoire un peu plus grande que moi. Là, je me sens vraiment une responsabilité par rapport aux gens que j’ai rencontrés et que j’espère que ce qu’ils vont voir sur scène leur plaira. Ce n’est pas rien de raconter la vie des gens en vrai !
Vous retrouvez le TDB, quel lien privilégié avez-vous avec ce lieu ?
Je suis artiste associée au TDB et c’est le 5e spectacle que je présente dont deux que j’ai créés là-bas, « Sirène » et « Dormir cent ans ». « Mon cœur » a été créé au Havre mais on a un rapport très privilégié avec le TDB. Le public nous connaît et que c’est toujours formidable d’y revenir. Et puis, nous avons des liens forts avec l’équipe technique et administrative.
Propos recueillis par Emmanuelle Giordano-Valenti
« Mon cœur »
Du 7 au 11 mars
Théâtre Dijon Bourgogne
Pour en savoir plus : www.tdb-cdn.com
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