top of page

SMAÏN, UN ENFANT DU PAYS.

  • magazinemagma
  • 8 nov. 2018
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 sept. 2019


Au début des années 80, l'échiquier politique se redessine en France. Les extrêmes montent pendant que la gauche fédère. L'époque cherche ses porte-paroles et les artistes s'engagent, consciemment ou non. La France, riche de sa diversité, s'exprime et nous permet de découvrir des talents qui marqueront durablement leur époque. Smaïn fait partie de ceux-là, même s'il est bien plus que cela. À 60 ans, l'homme n'a toujours pas sa langue dans sa poche et bien au contraire, cette langue il l'aime tout comme son métier et c'est avec le music-hall chevillé au corps qu'il viendra à Nevers, au Théâtre Municipal, le 14 décembre prochain. Rencontre avec l'humoriste Smaïn Fairouze.

Bonjour Smaïn, vous allez vous produire en décembre prochain au Petit Théâtre à Nevers, vous êtes presque un habitué du lieu désormais ?

Oui, oui et j’y suis passé dans des conditions géniales l'an passé, le théâtre était en pleine finition. J'étais sur la scène d'un théâtre entre deux époques, une sorte de vestige théâtrale. Je suis très content d'avoir pu lancer les « festivités » du Théâtre Municipal de Nevers.

Puisqu'on parle de vestige, vous faisiez partie d'un groupe d'humoristes à vos débuts dans les années 80 : les Inconnus ! Pourquoi avoir bifurqué pour le One-man-show ?

Je ne voulais pas être... je cherche le mot exact. J'aurais pu dire l'Arabe de service mais c'est un peu péjoratif. J'avais une prétention autre que celle de servir un rôle qui aurait été restreint. J'avais d'autres ambitions, celle d'être seul d'une part et puis de me raconter et de raconter. J'arrivais aussi à un moment où je pouvais porter seul cet espèce de symbole, d'élan… Il y avait la Marche des Beurs… Et inconsciemment j'ai senti que je pouvais servir cette « cause » ou plus justement, je rencontrais mon époque !

Être Français d'origine algérienne, dans les années 80, pour percer dans le monde du spectacle c'était compliqué ?

C'était lourd à porter parce que j'étais à la fois, pour certains, un porte drapeau et pour d'autres un alibis. C'était très difficile de naviguer là-dedans. Moi ma seule ambition, mon rêve absolu, c'était

de monter sur scène et de faire rire.

Quels sont les gens qui vous ont inspiré dans ce métier ?

Il y en a tellement mais principalement deux ! Cela paraît être en opposition mais… Jerry Lewis et Léo Ferré. Jerry Lewis pour l'enfant qu'il était… Quand on est enfant, on s'inspire toujours, on a des référents et moi quand je suis allé au cinéma et que j'ai vu Lewis, j'ai vu un adulte faire l'enfant et j'ai dit à mon père : « Papa, vivement que je sois un enfant ! » Et Léo Ferré, pour ce maniement de la langue française, oh mon dieu ! Il y en a plein d'autres évidemment mais Ferré c'était le sens de la

métaphore, ce qu'il a chanté… Si Jerry Lewis était le grand frère, Léo Ferré est devenu le papa ! Pour moi mais pour beaucoup d'autres aussi d'ailleurs. On s'inspire tous, inconsciemment, de quelqu'un et puis après, l'arbre prend racine et on devient soi-même, même s'il reste de petits résidus. Et puis, ce qui est merveilleux, c'est qu'après, on en inspire d'autres. Quand on me parle

des comiques qui arrivent, on me dit : « Alors, ils vous ont bousculé ? » Eh bien c'est normal, on passe le relais et on doit se réinventer. On devient quelqu'un d'autre, on ne peut pas être et avoir été.

Et dans ces nouveaux venus, ces humoristes qui saisissent le relais, quels sont ceux que vous appréciez ?

Celui que j'aime bien dernièrement c'est Djal !

Pour en revenir à vous, vous êtes un artiste complet : comédien, humoriste, un peu magicien, chanteur et même réalisateur…

Vous me connaissez bien, j'ai toujours aimé la magie, toujours ! En fin de compte, le point commun de tout ça, c'est le besoin d'étonner, le besoin d'être différent. On dit « être un acteur », moi j'aime pas trop ce terme là mais au départ il y a ce mot générique, c'est faire l'intéressant. Moi je n'ai fait que l'intéressant pour combler, pour colmater un manque. Peut-être un manque d'identité, peut-être que j'avais besoin de trouver ma place quelque part. Est-ce que c'est une forme d'intelligence, est-ce que c'est instinctif, une forme de résilience ? On ne sait pas vraiment. C'est comment on va chercher l'outil ? Après, il y a le statut, on est vedette, on gagne bien sa vie… Moi je n'ai pas fait ce métier là pour le statut, je l'ai fait pour l'urgence. C'était une urgence pour moi, une question de survie.

Su votre page Facebook, vous postez régulièrement des petites phrases, parmi celles-ci on peut lire : « On dit souvent dans le métier que garder une certaine distance avec son public, c’est s’octroyer un statut de STAR durable, scintillante et immortelle. À quoi je réponds : Dans mon statut, au troisième paragraphe j’y ai inscrit ceci : Je n’oublierai jamais d’où je viens et m’assiérai toujours auprès des miens, car il est ici mon précieux et véritable UNIVERS. Smaïn ». Elle était à destination de qui cette phrase ?

J'ai constaté, comme j'ai le statut de vedette entre parenthèses, que ce statut nous éloigne de la réalité. Nous nous sommes construits sur une réalité d'anonymes depuis la naissance et il faut rester sans cesse dans cette réalité, même si on est connu. Il faut aller vers les autres, c'est le plus grand

talent que je puisse avoir. Ce pouvoir d'aller vers l'autre, parce que c'est l'autre qui m'inspire. C'est comme Audiard qui rentrait dans les cafés pour relever des brèves de comptoir.

Vous serez donc à Nevers le 14 décembre pour un spectacle qui s'intitule « Je reviens me chercher », parlez-nous de ce spectacle.

Je me raconte, je vais dans mon intimité. Il y a une vingtaine d'année j'étais dans la pudeur, je riais pour rire. Maintenant, à mon âge, j'ai envie de raconter mon histoire. Je trouve que mon histoire

correspond aussi à un contexte… Je raconte cet enfant de Constantine qui est arrivé en France et qui a épousé la langue française mais qui des origines maghrébines et qui les revendique bien sûr. Je suis né en Algérie, ma terre de naissance, et je suis arrivé en France, ma terre de reconnaissance. Je suis entre le mistral et le sirocco et je raconte, à travers mon histoire, un peu l'histoire de tout le monde, de tous les immigrés, que ce soit les « polacks », les juifs de l'Est ou du Maghreb… Tout ce qui fait que la France est un melting-pot magnifique et merveilleux. Le pays des Lumières, le pays des Droits de l'Homme… Il ne faut pas l'oublier. En ce moment j'ai l'impression que tout éclate et c'est mondial. Voilà, moi j'y vais avec mon petit bâton de pèlerin avec le rire en plus… Eh oui, c'est du music-hall, du spectacle, on s'amuse. La scène c'est ma cour de récréation, voilà pourquoi je fais un petit tour de magie, voilà pourquoi je danse, je raconte, je poétise aussi, je dis des textes...

Qu'est-ce qui a changé dans votre métier depuis vos débuts ? Qu'est-ce qui fait rire les Français aujourd'hui ?

On va parler de celle dont on parle beaucoup en ce moment, c'est Blanche Gardin. Un comique c'est le miroir immédiat d'une société. On arrive à un moment donné et on correspond à la société telle qu'elle est à un moment donné. Coluche, si on analyse, il arrive avec la salopette, c'est le travailleur,

c'est 68, c'est la revendication, c'est la gouaille… Donc il correspond à une époque, il construit son personnage autour de ça. Dans les années 50 on peut parler de Robert Lamoureux, on est dans l'après-guerre, c'est extrêmement prude, drôle et très rythmé. Ça parle de la famille, maman, papa,

la bonne et moi. On reconstruit la famille. Moi j'arrive dans les années 80, je corresponds à ce moment et tous les gens dont on parle correspondent à leur époque. Ils répondent socialement à une période. Je suis arrivé avec l'éveil des minorités, la Marche des Beurs, Mitterrand, Le Pen et le Front National… J'arrive, je suis le petit Beur, je ne suis pas dans les faits divers, souvent je fais rire… Paf ! Je rencontre mon époque et puis après je fais des petits, je fais Jamel, je fais Eric et Ramzy… Je les révèle. La chance c'est d'avoir le référent, comme moi j'ai eu mon référent.

Aujourd'hui quand je parle de Blanche Gardin, que j'aime bien d'ailleurs, elle correspond à son époque. C'est l'anti-sexisme, la gouaille au féminin, c'est Bigard qui lui ouvre les écoutilles et puis c'est fait dans le raffinement. Pour moi, c'est la Piaf du rire ! Elle est debout, elle parle, elle se raconte, elle dit des choses très crues mais d'une poésie et d'une simplicité… Blanche, c'est bon, elle a gagné et elle ne le sait pas en plus. Le prochain ce sera qui ? C'est la société qui construit l'humoriste et pas l'inverse.

Vous avez ce sketch hilarant, Le Raciste, est-il toujours d'actualité en 2018 ?

Évidemment... Le sketch est né de quelque chose que j'ai vécu, c'est une secrétaire d'origine maghrébine qui arrive au bureau et qui me balance : « Ah ! Ils nous font chier ces Arabes ! » Je lui demande pourquoi elle dit ça et elle me répond : « J'ai pris le métro et je me suis faite emmerder par quatre bougnoules! » Je lui ai dit : « Mais t'es une bougnoule toi aussi ! » Là je me suis dit putain, il y a un sketch à faire, l'Arabe raciste, l'Arabe qui n'aime pas les étrangers. Ce qui signifie que l'intelligence n'est pas dans la couleur de peau, dans la « race », dans une appartenance religieuse…

Elle est dans l'appréciation de l'autre et de soi. C'est pour cela que j'ai fait ce sketch et ça fait rire parce que , à la fois, je me moque de moi-même et à la fois des racistes. Alors oui, c'est toujours

d'actualité et Eric Zemmour ne nous aide pas (NDLR : Eric Zemmour a été condamné en 2011 pour provocation à la haine et en 2018 pour provocation à la haine religieuse).

Il fait du business, il surfe sur une vague nauséabonde, comme d'autres vendent des armes…

Vous avez raison, mais faire du business de cette manière là… Moi, je suis devant lui, je lui dis : « Dans une cour de récré, j'ai 12 ans, je te mets mon point dans la gueule. T'es convoqué par la maîtresse avec tes parents et on te demande des excuses. » Il suffit simplement que je dise : « t'es un enculé ! » pour que demain je vende 200 000 CD. Alors je vais en profiter tiens, je vais faire comme

toi : « T'es un enculé Eric Zemmour ! » et demain on va voir si je vends des CD. Toi tu dis ce que tu dis et le lendemain, quand t'as bien fait ton marché, t'as bien fait le buzz… tu vends tes bouquins.

C'est un polémiste qui est extrêmement dangereux. Et, ce que je ne comprends pas, c'est que le mec il est juif quoi !

Qu'est-ce que vous ne faites pas et que vous auriez aimé faire ?

J'écris des contes pour orchestres, j'ai fait de la mise en scène, je fais l'acteur, j'écris mais il y a point commun à tout ça, c'est s'exprimer ! L'expression, être en état d'urgence… Oui, il y a ce truc que

j'aimerais bien faire, j'aimerais mettre en scène une comédie musicale… Mêler tout ce que je fais : l'écriture, la danse, la chanson. Je suis allé voir West Side story, j'en ai pleuré.

RETROUVEZ SMAÏN AU THÉÂTRE MUNICIPAL DE NEVERS LE 14 DÉCEMBRE PROCHAIN À 20H00

Plus d'infos : www.theatrenevers.fr

Comments


© Edit'Presse / Magazine Magma 

bottom of page