KHEIREDDINE LARDJAM LE GUICHET DU POUVOIR
- magazinemagma
- 30 avr. 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 sept. 2019
Kheireddine Lardjam est de retour à Dijon à l'occasion du festival Théâtre en Mai. Le metteur en scène algérien y présentera sa nouvelle pièce, l'adaptation d'une oeuvre de Victor Hugo : Mille francs de récompense. Une pièce du 19ème siècle qui surprend par son actualité. Rencontre avec Kheireddine Lardjam, un artiste engagé qui ne cherche pas à être juste, mais vrai.

Quel est le propos de cette pièce ?
Hugo a imaginé une pièce autour d'une histoire très simple mais avec une lecture très pointue. Elle raconte l'histoire d'une famille, celle de Cyprienne, qui se fait dépouiller par des banquiers véreux. Un de ces derniers va tout de même lui proposer une porte de sortie. Celle d'un marché douteux : se marier avec lui. Hugo dénonce le système financier. Il comprend que ce qu'on appelle aujourd’hui « l'ascenseur social » était cassé et que le système bancaire est fait pour que ça n'aille que dans un sens.
Pourquoi avoir choisi d'adapter cette oeuvre de Hugo en particulier ?
L'histoire de cette pièce est incroyable. Hugo l'écrit en 1866, en exil. Napoléon est au pouvoir. Il essaye d'analyser l'époque et comprend que c'est la finance qui dirige le pays, c'est la question financière qui est au centre. Au moment où il écrit cette pièce, il envoie une lettre à son fils pour lui dire qu'il ne veut pas qu'elle soit jouée, parce que la France n'est pas un pays libre. Il va donc se libérer dans la langue. La construction est vraiment à part. C'est l'unique pièce de théâtre contemporaine de Hugo, et qui se passe en France. Sans toucher un mot de l'histoire on peut la transposer à aujourd’hui. Ce qui est hallucinant dans cette pièce, c'est qu'elle est tellement un OVNI dans l’oeuvre théâtrale de Hugo, qu'elle ne va être publiée qu'en 1934 parce qu'on arrivait pas à la classer. Classée injustement d'ailleurs dans le théâtre des libertés (1 acte) or il y a 4 actes. Elle ne sera jouée qu'en 1961. C'est vraiment une pièce qui a voyagé dans le temps en étant inconnue. Pour moi c'est presque un scénario de cinéma. Il a été visionnaire.
En quoi cette pièce est-elle d'actualité ?
Parce que le personnage du banquier véreux, qui a une ambition politique forte, devient député quand il comprend que tout se passe en politique. Pendant une soirée, un ami lui demande de quoi il a parlé à l'assemblée, « bah j'ai parlé finance ». Aujourd’hui c'est une évidence. Il y a des moment comme ça sur les rapports entre finance et pouvoir. L'actualité de la pièce est aussi hallucinante dans le fait que la société a besoin de mettre les gens dans des cases et ces cases, on n'arrive pas à les bouger. Hugo fait lecture de ces cases juste du point de vue financier. Il essaye d'expliquer que la société est construite sur des bases partant d'un discours politique et financier. C'est brillant ! Il remet aussi en question la place du peuple. Moi dans ma mise en scène il n'y a pas de victime,tout le monde est salop. Même la famille pauvre je n'en fais pas des victimes, j'en fais des gens responsables, comme aujourd’hui,des gens qui tombent dans la consommation, dans l'amour de l'argent,du paraître.
Justement, quelle a été votre adaptation ?
Je n'ai pas changé une ligne de la pièce.J'ai fait des coupes dans le texte car Hugo a tendance à se répéter et en théâtre ça se ressent dans le rythme.Pour la mise en scène, j'ai pris le parti d'en faire une farce ! Cela se ressent principalement dans le jeu des acteurs. Je vous avoue que je me suis beaucoup inspiré du Loup de Wall Street. Ce film montre dans quelle folie, dans quelle extravagance vivent les gens de la finance.Pour la pièce je me suis amusé à contacter des traders et des banquiers de La Défense et je me suis rapidement rendu compte que le film est gentil car ces gens là sont vraiment déconnectés de la réalité. Les personnages de ma pièce sont vraiment extravagants. Le banquier dit par exemple : « Vous croyez que j'aime l'argent ? Non j'aime moi ! » Et il le dit d'une manière incroyable. Le fait d'avoir été dans l'exagération rend le propos politique encore plus puissant, plus bestial. On n'est pas dans l'intellectuel. Quand on essaye d'intellectualiser les textes de Hugo, on crée un fossé avec ce qu'il avait envie de raconter,parce que lui, ce qui l'intéresse,c'est l'humain ! Il y a quelque chose comme ça de cannibale chez certains personnages. C'est pas bouffer l'autre pour l'écraser mais pour le plaisir.
Et Glapieu, comment avez-vous travaillé dessus ?
Dans ma mise en scène, tous les personnages sont des personnages de fiction pour permettre au spectateur d'avoir de la distance et de percevoir les choses. Glapieu est dans le réel. Pour moi, c'est un jeune de cité qu'on juge très vite. Il manie la langue d'une manière incroyable. C'est un jeune homme brillant,intelligent. Il a l'amour des mots,du verbe. Mais qu'on juge à l'apparence,à sa situation sociale. Et moi dans mes ateliers je peux vous assurer que j'en ai rencontré pas mal de Glapieu.
À quel point votre théâtre est-il engagé ? Y a-t-il urgence à dénoncer ?
On est tous citoyens avant d'être artistes.Certes, on fait du théâtre, maison vit dans cette société. Je pense qu'aujourd'hui, la société est arrivée à un point où la citoyenneté doit être mise en avant. Je ne sépare pas l'artiste du citoyen. Si j'étais dans un autre corps de métier, j'aurai participé à la société,à dire des choses par mon métier ou mon engagement associatif. Le rôle du théâtre n'est pas là pour les bons sentiments,pour donner de l'espoir. Je ne monte pas un spectacle pour donner de l'espoir. Si il y en a, il va naître de lui même.Je ne me dis pas que le rôle du théâtre est d'être juste. Il doit être vrai ! On vit dans une société assez rapide.On doit être vrai. Si la vérité est dure,il faut l'entendre. C'est ce qui fait que parfois mes spectacles peuvent être politique. J'essaye d'être vrai. Les politiciens ont vidé les mots de leur sens. J'aime beaucoup le mot politique.Quand on dit politique, démocratie,laïcité, république… Ce sont des mots accaparés par les politiciens, le rôle du théâtre est de leur redonner leur sens.Je ne me dis pas que je fais du théâtre politique, mais en faisant du théâtre je fais aussi de la politique.
Vous êtes venu à Dijon en 2012 pour jouer Le Poète comme boxeur qui retrace la vie de Yacine Kateb. Encore un bel hommage à la liberté et une certaine résonance à la politique?
C'était mon livre de chevet. Il regroupe toutes les interviews de Kateb. J'étais à une période où je me questionnais sur mon métier. À quoi je sers ? Quelle est mon action ? J'étais journaliste car en Algérie on ne vit pas du théâtre. J'étais reporter et je me sentais impuissant.En lisant ce livre j'ai compris. Un artiste c'est comme un boxeur ! Kateb a dit :« La langue française c'est comme un butin de guerre. » Je me suis donc rendu compte que le théâtre, la lecture, la langue française sont des outils pour faire face. Dans Mille Francs de récompense,un des banquiers dit : « Le peuple doit être ignorant, car il n'y a pas d'ambition chez lui ! » Et dans Le Poète comme boxeur, Kateb lui répond en quelque sorte avec ces mots : « Rendez ses armes et ses outils au peuple ! »
Pour réserver : http://www.tdb-cdn.com
MILLE FRANCS DE RÉCOMPENSE
PAR LA COMPAGNIE EL AJOUAD
MISE EN SCÈNE DE KHEIREDDINE LARDJAM
Le 27 mai à 19h30, les 28 et 29 à 19h00Le Cèdre / CHENÔVE
5B RUE ARMAND THIBAUT
POUR EN SAVOIR PLUS : WWW.ELAJOUAD.COM
コメント