LEYLA RABIH - SYRIE, DE LA VIE A LA MORT...
- magazinemagma
- 7 sept. 2017
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 sept. 2019
Comprendre le conflit syrien et ses causes profondes n’est pas chose aisée alors, quelque fois c'est le théâtre qui s'y colle ! Après son passage à Théâtre en Mai 2017 nous avons souhaité rencontrer Leyla Rabih qui traite la question. Dans « Chronique d’une révolution orpheline », la metteuse en scène, propose un tryptique étonnant qui met en perspective la révolution syrienne et le début de la guerre sanglante. Elle illustre les premières manifestations et l’inquiétude, les emprisonnements et les tortures, et enfin le début des disparitions. Rencontre…

Pourquoi travailler sur la question syrienne ?
Au début de la révolution syrienne, en 2011, et au moment où le régime a commencé à détruire les villes d’Homs et d’Alep, en 2012, j’ai ressenti quelque chose de l’ordre de la sidération. Ma famille paternelle est issue de Hama qui a été l’objet d’une répression énorme en 1982. Le régime syrien (Hafez Al Assad, ndlr) a écrasé une révolte et détruit la ville (le régime Baas des Al Assad contre les Frères musulmans, ndlr). Ca c’est passé de manière circonscrite. En trois semaines, ils ont fait 30 000 morts et réussi à détruire tout un centre-ville médiéval. Et depuis 2012, il y a quelque chose sur la destruction des villes qui dépasse l’entendement. Pendant longtemps, les seuls exemples étaient Néron qui a fait brûler Rome et Poutine en Tchétchénie, en 1999 (Il a dévasté Grozny. L’Onu, en 2003, a d’ailleurs déclaré Grozny « ville la plus détruite sur Terre », ndlr). Ce sont des politiques génocidaires. La question de la répression est une banalité. Par contre, détruire les villes et le pays à grande échelle, c’est inouï. En Syrie, on envoie des soldats tirer dans leur propre village (et des exemples comme ça il y en a à foison). On détruit ses propres villes, son propre pays et à long terme. Depuis 2012, la question de travailler autour de la Syrie au théâtre s’est imposée.
Quelle est l’origine du projet « Chronique d’une révolution orpheline » ?
En 2013, j’ai fait une première performance entre les villes détruites à Hama en 1982, en Allemagne (Berlin, ndlr), et en 2012 en Syrie. Lettres syriennes/lettres d’exil. Je voulais travailler sur la Syrie et j’avais un premier texte qui parlait de la société civile avant l’explosion, celui d’un auteur franco-togolais qui s’appelle Gustave Akakpo qui a été en résidence en Syrie en 2008. Il a écrit un texte qui raconte vraiment une société au bord de l’explosion et l’imbrication politique, religieuse, totalitaire dans la société et comment les familles sont à la fois victimes et oppresseurs. Je n’ai pas réussi à monter ce spectacle-là. J’ai commencé alors à chercher d’autres textes et j’ai découvert les textes de Mohammad Al Attar que j’ai décidé de rassembler en une trilogie, On Line, Tu peux regarder la caméra et Youssef est passé par ici. Il me semblait important d’illustrer le passage du soulèvement à la guerre civile, cette bascule-là qui s’est faite entre 2011 et 2013. Notamment à l’automne 2013 avec les attaques chimiques, le retrait d’Obama et Hollande qui étaient prêts à intervenir, ce qui a constitué le feu vert pour Poutine, ainsi que l’apparition de Daech.
Pourquoi trois textes si différents ? Chaque texte raconte un moment historique très précis à savoir les manifestations, la répression, la guerre civile deux ans plus tard. Et ce qui m’intéressait aussi, c’est que chaque texte proposait aussi une forme d’écriture particulière.
Racontez Online…
Online se situe entre le 15 et le 22 avril 2011. Il s’agit d’un échange de mails. Un jeune homme, à Damas, écrit à son amie, à Paris, et lui raconte les premières manifestations, sa peur, sa lâcheté, son inquiétude, le fait de voir les copains se faire arrêter et ne plus avoir de nouvelles. L’amie parle de la difficulté d’être à distance et de ne pouvoir rien faire. Ce qui m’intéresse au théâtre, ce sont justement de textes qui ne sont pas théâtraux. Dès 2014, j’ai eu des critiques sur Online, on me disait que c’était trop vieux, qu’on ne pouvait pas en parler de cette façon. Les événements politiques et historiques vont très vite et changent le contexte et la façon de regarder les événements. Le regard est tout le temps mouvant et change à l’aune des événements qui suivent. Avec Online, plus le temps passe, plus ce texte est important parce qu’il raconte vraiment comment ça a commencé. Le conflit syrien n’a pas commencé comme la guerre civile libanaise en 1975. Il ne s’agit pas d’une faction qui se met à tirer sur une autre faction. En Syrie, ça a commencé par des manifestations populaires dans les banlieues, au sens ville de campagne, autour de Damas. C’était la campagne pauvre contre les villes riches. La guerre civile est arrivée un an et demi après une répression féroce.
Et Tu peux regarder la caméra ?
Il se situe en septembre-octobre 2011. Sa forme est plus conventionnelle. C’est l’histoire d’une jeune femme qui vient d’un milieu privilégié, son père et son frère sont avocats, elle est graphiste, indépendante dans une capitale, elle peut faire ce qu’elle veut et, tout-à-coup, à défaut de s’engager, elle décide de faire un film documentaire à partir de témoignages de manifestants qui ont été arrêtés, emprisonnés et donc torturés. On voit son frère la mettre en garde. Les personnes qu’elle interviewe ne répondent pas à ces questions et démontent le processus d’interview. Il y a celui qui veut pas raconter ce qu’il a subi, la fille qui va décider elle-même ce qu’elle va raconter et le troisième qui remet tout en question. Le texte est à l’image de l’ambivalence qu’il y a dans toute société ayant vécu sous un régime. C’est-à-dire que dans chaque famille, il y a quelqu’un qui est allé en prison, un exilé politique, un policier, ou sûrement quelqu’un qui travaille pour les renseignements. Un système totalitaire ça marche comme ça, sinon ça ne marche pas. Pour opprimer la moitié de la population, il faut bien que l’autre moitié s’engage. Il y a dans ces textes un personnage qui est candide et qui se prend un seau de complexité dans la tête et ne sait plus quoi faire. Et le projet ne peut qu’être renversé par la complexité.
Enfin Youssef est passé par ici ?
Youssef est le récit d’un voyage à l’été 2013. Youssef est un activiste citoyen comme plein de gens l’ont été à cette époque, en 2012-2013 (journalisme citoyen, ce genre de choses). Il se rend à Raqqa au début de l’Etat islamique et disparaît à l’été 2013. Un de ces amis qui vit à l’étranger décide de partir à sa recherche. Il entre par la Turquie et passe la frontière syrienne. Cela fait 6 ans qu’il vit à l’étranger et est un peu naïf, un défenseur des aspirations démocratiques. En passant par la frontière turque, il commence à voir les camps de refugiés, les bombardements et un pays ravagé par la guerre. Et du coup la question se pose : que reste-t-il de la révolution deux ans après la guerre ?
Quels sont les questionnements fondamentaux de la pièce ?
Il y a plein de questions citoyennes qui sont posées dans la pièce, comprendre comment la religion là peut aider les gens à supporter l’horreur, qui décide de la légitimité d’un mouvement citoyen, qui parle, quand se compromet-on, c’est quoi la Real Politik, collaborer avec les islamistes pour faire un hôpital et sauver des vies, c’et quoi le problème ? Ce texte pose des questions politiques et historiques de base, je le compare avec La Mort de Danton de Georg Büchner ! Il reprend les motifs de la révolution française. Danton veut aménager la révolution et Robespierre refuse. Et elle bouffe ses enfants, cette révolution. Ce sont des questions qui ne s’inventent pas, qui sont universelles.
Propos recueillis par Emmanuelle Valenti
Le site de la Compagnie : Le Grenier Neuf
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